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Eléonore une jeune maman de 30 ans passe ses journées devant la télévision, se désintéressant de son rôle de femme au foyer et délaissant sa fille, Marie. Elle va sur un coup de tête décider de devenir romancière lorsqu’elle découvre  une nouvelle série télé sur la vie d’une écrivaine, mère de trois enfants. Eléonore y croit car elle a en elle depuis toute petite la musique des mots mais écrire est une toute autre chanson.
Marie s’arrête devant la vitrine de l’immense librairie du centre ville.

— Papa ! Papa ! Regarde c’est Mathilde Gontran !

Paul fait l’innocent.

— C’est pas possible ! Mathilde Gontran, je n’en crois pas mes yeux !

— Oh mon papa chéri, tu veux bien qu’on rentre, c’est trop top ! Tu veux bien dis ? Elle va me dédicacer son livre !

Marie tire sur la main de son père qui se laisse entraîner vers la queue qui débute depuis la porte d’entrée pour finir tout au fond du magasin où doit se trouver l’auteure en question. Marie trépigne sur place, au bout d’un moment, elle donne un coup de coude dans les jambes de son père.

— Tu savais hein papa ! Tu savais pour Mathilde ! C’est la première fois qu’on vient au centre ville après l’école.

Paul lui tire la langue. Marie fronce son nez et enserre le bassin de son père dans ses bras.

— T’es le plus cool des papas du monde.

Une heure plus tard, ils sont enfin en présence de Mathilde Gontran, une jolie brune d’une trentaine d’années aux yeux clairs avec un sourire bienveillant.

— Alors mademoiselle, vous voulez que je dédicace ce livre pour quelqu’un en particulier ?

Marie a le cœur qui bat  fort.

— Comment vous faites pour voir tous les personnages dans votre tête ?

Mathilde Gontran regarde plus attentivement cette jeune fille qui doit avoir huit à dix ans et qui se trémousse sur sa chaise.

— Je ne les vois pas vraiment, je ne vois que quelques bribes de chacun d’eux. C’est toi qui les dessines dans ta tête avec les petits morceaux d’images que je te décris.

Marie fronce les sourcils sur ses petits yeux noirs.

— Alors c’est comme un peu de vous et de moi qui se mélangent.

Mathilde Gontran ne peut s’empêcher de sourire.

— C’est la magie de l’écriture ! Alors cette dédicace, c’est pour qui ?

— Je veux que vous écriviez pour Marie, Paul et Eléonore.

Mathilde commence sa dédicace, Marie l’interrompt.

— Je serai écrivaine comme vous un jour, j’ai déjà plein de personnages dans ma tête et ils me disent aussi beaucoup de choses.

Marie rougit, Mathilde Gontran finit la dédicace, ferme le livre, le donne à Marie.

— Alors écris ce qu’ils te disent Marie, écrire est un bien si précieux.

Dès la sortie du magasin Marie ne peut attendre davantage, elle ouvre le livre, lit la dédicace :

“Pour Marie, Paul et Eléonore, Marie ne laisse personne t’empêcher de vivre tes rêves”

Marie serre le livre sur son cœur.

*

Les chips croustillent sous la dent, une boîte de gâteaux et une bouteille de Coca traînent sur la table basse d’un salon moderne et spacieux. Un immense écran plat diffuse une des séries télé préférée d’Eléonore qui, vautrée sur le canapé, n’en perd pas une miette. Plus rien n’existe autour, hormis cet écran magique qui l’emporte très loin, loin de son quotidien, loin de toutes ces tâches ménagères qui sont le lot de toute mère au foyer.

— Maman, tu veux bien m’aider pour mes devoirs s’il te plaît ?

Marie s’est approchée tout doucement de sa mère, se colle contre elle. Eléonore soupire, continue à fixer son écran.

— Laisse-moi regarder la fin de ma série, il n’y en a plus pour très longtemps.

Marie s’éloigne  de sa mère, la mine boudeuse.

— C’est toujours comme ça avec toi, t’es toujours devant ta télé et tes films ils durent toujours trop longtemps.

— Marie, tu m’ennuies maintenant ! Je t’aiderai quand ce sera fini, un point c’est tout !

Marie pousse un profond soupir et part dans sa chambre.

L’épisode est fini, Eléonore éteint la télé. Le silence dans la maison lui donne un frisson, elle se dirige vers la chambre de sa fille, donne un coup de pied au passage dans un carton de boîte de pizza, enjambe un pull, marche sur une paire de chaussettes. La chambre de Marie est tapissée de livres du sol au plafond, il y en a même sous le lit. Eléonore n’aime pas entrer dans cette chambre, tous ces livres l’attirent et la repoussent en même temps. Marie est en train d’écrire sur son petit bureau. Eléonore se tient debout contre elle, lui caresse machinalement la nuque.

—Alors c’est quoi au programme ?

— Une rédaction maman.

— Une rédaction ?

Eléonore s’assoit sur le petit lit et parcourt le sujet de la rédaction, puis pose la feuille sur le lit.

— C’est n’importe quoi ce sujet, ils n’ont pas trouvé autre chose que ça ? Bon sang, on ne donne pas un sujet comme ça à une enfant de huit ans !

Marie fronce les sourcils et son petit menton.

—La maîtresse elle me l’a donné qu’à moi. C’est les grands de sixième qui l’ont eu cette semaine à faire en devoir.

— Mais tu n’es pas en sixième, tu es en CE1, on ne fait pas de rédaction en CE1 !

— Moi si ! J’ai montré à la maîtresse les histoires que j’écris à la maison, elle a dit que c’était très bien et elle m’a appris à faire une rédaction.

Eléonore regarde sa fille plus attentivement.

— Mais tu ne m’en as jamais rien dit !

Marie reprend la feuille au sujet et vient s’assoir à côté de sa mère.

— Tu es toujours devant ta télé et quand je veux te parler tu dis que tu as toujours trop de travail.

— Tu as le temps de grandir ma chérie, ne t’encombres pas la tête avec tout ça. Tu devrais jouer à des jeux de ton âge au lieu d’être tout le temps fourrée dans tes bouquins. Tu veux que j’invite des copines pour samedi après-midi ?

— Je veux pas jouer avec mes copines, je veux devenir écrivaine ! Comme Mathilde Gontran.

— Qui c’est cette Mathilde Gontran ?

—  C’est celle qui a écrit tous mes livres préférés et même que j’y suis allée à sa dédicace, avec papa et qu’elle m’a dit que je serai une grande écrivaine moi aussi.

Marie défie sa mère, ses mains posées sur ses hanches. Eléonore se sent lasse tout à coup.

— Tu as bien de la chance de savoir ce que tu veux faire de ta vie ma chérie mais en attendant tu es encore une petite fille.

— C’est toujours pareil avec toi ! Tu veux jamais comprendre, y a que papa qui me comprend mais il est jamais là. C’est pas juste.

Eléonore se lève, va vers la porte de la chambre.

— Et bien puisqu’il n’y a que papa pour comprendre mademoiselle, tu n’auras qu’à lui demander à lui, il faut que je te laisse, j’ai le repas à préparer pour ce soir.

Eléonore est partie. Marie s’assoit à son bureau, donne de grands coups de stylo à bille sur une feuille vierge.