femme qui courtChuchotements

 

Le souffle de décembre mord tendrement ma peau. Le sentier colle à mes pas, ta petite main qui réchauffe la mienne prend son envol. Tu  pars au devant sur tes jambes de 16 ans. Tu bondis, libre, confiante, jeune animal que ta foulée vagabonde rend vivant et noble. Tes longs cheveux noués fouettent l’air frais comme les ailes d’un oiseau ivre de joie. Tu m’as seulement dit “papa, peux-tu m’accompagner au bord du lac, j’ai tellement envie de courir”. Je t’ai suivi un bout de chemin, mais déjà tu m’échappes. Ta silhouette de jeune fille s’estompe dans ce brouillard matinal que l’éloignement densifie un peu plus. Déjà, je ne te vois plus, déjà, seul le souvenir me relie à toi. L’eau dormante que je devine en contrebas laisse son haleine remonter jusqu’à moi. Il y a ce vol de héron blanc qui déchire le ciel opaque d’une signature courbe. Je suis le promeneur solitaire dont le pas marque la terre et résonne dans son cœur. L’arbre aux feuilles d’or qui jalonne ma route chante dans le vent. La pluie de la nuit a laissé son eau dans le creux de ses feuilles et sur sa peau râpeuse. Je me suis approché car j’entends l’arbre pleurer de l’intérieur. Des chuchotements s’échappent des perles de pluies qui s’écrasent sur le tissu végétal. Ces petites voix murmurent des paroles venues du fond des âges. J’accueille, puis continue ma route. Je descend sur la rive et contemple les larmes, d’un arbre penché, chuter dans la nappe liquide. Des bulles d’air éclatent à la surface. Ce sont autant de bouches, libérant les paroles muettes que seul le passant perdu peut entendre. Au loin, une cathédrale, de bois dormant, m’ouvre ses portes. Je pénètre sous sa voûte constellée de ramures décharnées. Des cieux, tombent sur moi, toutes les larmes des cœurs souffrants. De la terre jonchée de feuilles mortes, le froissement de mes pas s’élève comme une prière récitée à voix basse. Je sors, la tête basse, le cœur lourd. Je n’ai devant les yeux que la plaine nue. Le brouillard, en premier rideau s’est levé, puis le voile laiteux d’une lumière timide s’est dissipé pour laisser le disque d’argent tacher le ciel gris. J’ai laissé mon regard trainer jusqu’à l’horizon d’un chemin qui m’a ramené jusqu’à toi, jusqu’à ton visage, ton sourire, l’innocence de tes seize ans. Tu avais fini ta course dans le vent sur le sol gelé de ce matin de décembre. J’avais entendu tant de mots chuchotés. Tu commences ta vie, je continue la mienne. As-tu perçu le long de ta route tous ces messages que mon cœur n’a pu déchiffrer ? J’étais sourd, il est vrai, tant les mots qui naissaient dans ma poitrine martelaient mon esprit. Ces mots je te les dirais un jour…

 

A Julia