Serge ronfle comme un sonneur, les pleurs de Marie n’arrivent pas à les couvrir, 4 heures du mat, Virginie a mal au ventre, ses cervicales craquent, elle se lève péniblement du lit, la tête lui tourne. La dispute de la veille a laissé des traces. Elle regarde son homme endormi que rien ne semble pouvoir déranger. Elle ne comprend pas les hommes, le sien encore moins, pourtant tout devrait être si simple. Elle sort de la chambre, Marie semble reprendre son souffle, brève accalmie sonore. Virginie retrouve la cuisine comme elle l’a laissée la veille, vaisselle sale dans l’évier, des restes de bouffe dans des plats, une bouteille de mauvais vin presque vide qui traine encore sur la table couverte de miettes de pain. Pendant que le chauffe biberon fait son travail Virginie pense à tous ces hommes qu’elle a rencontrés avec ces premiers rendez-vous où tout semble possible, simple, juste s’aimer et puis rêver d’un futur possible et puis, et puis… les incompréhensions, les déceptions et les rancœurs. Pourquoi faut-il que tout soit si compliqué ? Hier, ils se sont disputés pour une histoire de lave-vaisselle à changer, plus d’une heure à se prendre le bec, à tourner en rond : dérisoire, comique, ridicule. Virginie prend le biberon chaud dans ses deux mains, le pose contre ses lèvres, une envie de pleurer. Elle se dirige vers la chambre de la petite qui pousse des cris aigus qui déchirent la pénombre du couloir. Virginie allume la veilleuse, deux petits yeux sans cils se tournent vers elle. Deux petits trous noirs capteurs de vie. La jeune maman prend le bébé dans ses bras, le serre un peu trop fort contre elle, s’assoit sur la chaise à côté du berceau, laisse les lèvres aveugles chercher la tétine. Virginie sent toute la pureté de ce moment. Pendant que le liquide nourricier passe dans le corps de sa fille, des bulles d’air se créent, libèrent des petites voix qui sont autant de paroles d’amour. Une nappe de soie recouvre les épaules nues de Virginie qui sent une immense paix l’envahir. Direct est le message de cet acte d’amour. Il ne laisse ni place au doute, ni place à la peur. Tout est là, résumé à cet instant de vie simple, concret. Virginie caresse la tête aux cheveux fins, clairsemés de ces vielles vies renaissantes. Qui étais-tu Marie autrefois ? Comment as-tu vécu tous ces moments de vie si complexes, si épuisants ? Toi aussi dans quelques années, quelques jours peut-être tu vas te perdre de nouveau dans ces méandres déroutants. Un léger frisson parcourt Virginie qui sent sa fille serrer un peu plus fort un de ses doigts. Le lait continue sa course et les vies de Marie et de Virginie la leur. Virginie comprend cet écoulement du temps qui fuit, cet instant d’éternité qui déjà n’est plus. Directissime est la voie, directissime est la portée de cet instant magique. Virginie vient de comprendre dans le silence de cet espace intime qui la relie à sa fille que la vie offre parfois des lignes droites qu’il faut savoir prendre sans se poser de questions. L’odeur de Marie, sa peau, ses bruits de succion, sa beauté brute, voilà tout ce qui compte. Virginie se penche un peu plus vers son enfant, aspire sa douce présence et laisse son cœur s’inonder de joie.
Directissime
By franckcambon|2017-10-15T16:30:53+01:00août 24th, 2015|corps, liens familiaux, Textes|Commentaires fermés sur Directissime