— Bonjour mes amours !
Paul embrasse ses filles, Maryse verse le café fumant dans sa tasse. Les petites ont du chocolat sur les joues, elles tendent leur visage radieux à leur père.
— Je t’ai mis de la confiture de myrtille sur ta tartine Paul, Laura ! Dépêche-toi tu vas être en retard à l’école !
Maryse se lève, prend la main de Paul qu’elle sert très fort dans la sienne, se dirige vers le frigo, elle en revient avec un bout de gâteau au chocolat dans du papier d’alu.
— Tu sais que je ne peux pas le…
Elle insiste, le bras tendu, le regard lourd, il abdique, prend le morceau de gâteau.
Paul marche dans la rue d’un pas vif, l’air est frais, la clarté matinale embellit les façades et les feuilles des platanes. Un vent léger fait danser les ombres et le babillement des oiseaux couvre le ronronnement de la circulation. Tout n’est qu’espace, liberté, Paul a presque envie d’ouvrir les bras et de chanter. Les piétons qui le croisent posent sur sa tenue un regard perplexe.
Il arrive devant l’immense portail d’acier. Il sonne. Le gardien ouvre une petite porte latérale.
— Salut Paul, Maryse et les filles vont bien ?
— Oui, ça va.
Paul pénètre dans la cour pavée, sort son passe magnétique et passe une série de portes métalliques et de grilles. Il arrive dans la salle de détente où ses collègues qui se tordaient de rire se sont tus dès qu’ils l’ont aperçu.
— Salut les gars !
— Salut Paul !
Les regards sont fuyants, les mines se sont assombries. Paul jette le gâteau dans la poubelle, prend une série de jeu de clés sur un tableau et pousse un chariot roulant rempli de courrier. Il sort, prend le long couloir où des portes borgnes s’enfilent. Il en ouvre une.
— Tiens Vincent.
L’homme massif aux lèvres minces dans sa tenue orangée s’empare de la lettre avec un regard méfiant. Il passe son doigt sur la bande collante pour recoller le bord de la lettre qui a été ouverte et se tourne vers sont lit mural au cadre d’acier. Un poster de femme nue habille les murs ternes de sa cellule. Paul referme la porte et se dirige trois portes plus loin. Son pas se fait plus lourd, sa jambe droite variqueuse le fait soudain souffrir. Une image fugace s’impose à lui, celle de son père lui posant la main sur l’épaule après une dure journée de travail dans les champs et ces mots :
— On a fait du bon boulot mon fils, on a bien mérité la soupe.
Paul est obligé de stopper le chariot un instant, il a cette foutue boule dans la gorge qui l’étouffe, il a mal au ventre et ne sait plus s’il a envie de pleurer ou de donner des coups de poings ou de se fracasser la tête contre une de ces putains de portes. C’est à chaque fois pareil. Cela va faire bientôt trois ans. Exactement 2 ans 11 mois et 12 jours. Il se force à avaler du vide, se redresse, pousse son chariot qui semble peser une tonne vers la porte 304. Il n’y a pas de courrier pour ce détenu là. Sa clé tremble dans la serrure, il ouvre. Le jeune homme est assis sur son lit, ses longues mains fines croisées sur ses genoux, ses yeux sombres et sans vie avalent Paul et ce grand corps trop maigre semble sur le point de vaciller. La bouche au duvet fin tente un sourire qui tombe sur le sol de béton.
— Bonjour papa.